Je hais les responsabilités. J'imagine bien que je ne suis pas la seule, seulement le facteur aggravant dans mon cas, c'est que je suis incapable de les fuir.
J'en connais qui, après une gracieuse pirouette, feraient un magistral volte-face et fileraient vers des horizons plus sereins.
J'en suis incapable. J'aimerais, parfois.Ficher le camp sans me retourner, sans un regard pour ces responsabilités abandonnées.
Abandonner. Fuir.
Deux notions qui m'ont toujours donné du fil à retordre.
Tourner le dos à ce qui nous pèse peut sembler séduisant...
Mais en même temps tellement lâche.
Cela ne nous empêche pas de les esquiver quand l'occasion se présente, cependant. C'est d'ailleurs l'une de mes spécialités.
Mais quand on se fait attraper, il n'y a pas d'autre choix que de se résoudre à les avoir sur le dos pendant un moment. En espérant qu'il ne durera pas très longtemps...
J'emmerde les transitions dans les dissertations, de ce fait, par pur plaisir égoiste je passe au thème suivant sans en faire une. Hah.
Diriger. J'ignore si je déteste cette notion autant que l'idée d'avoir des responsabilités. Toujours est-il qu'elle m'a très - trop souvent à mon goût - collé à la peau.
Je souhaiterais m'en débarasser mais au final je finis toujours par devoir l'affronter.
Un heaume. Lourd, imposant.
Au milieu d'une salle, petite, entouré d'un bon nombre de personnes.
Le silence, aussi lourd que le casque.
Deux chevaux attelés, à l'arrêt. Une diligence noire.
Quelques passagers qui se font face.
Pas de cocher, des rênes abandonné sur le siège du conducteur.
Si je devais parler du début de ces conneries, mes souvenirs me ramèneraient à une situation que j'ai vécu à de nombreuses reprises, au collège.
Cours de technologie. Des groupes se forment, imposés ou par affinités. Chacun d'entre eux se voit confier un dossier, composé de quatre ou cinq classeurs légers.
A l'intérieur, des notices, des démarches à suivre. Rien de très compliqué au final.
Pourtant il y a un silence, un nuage d'hésitation collective qui passe au milieu des camarades de travail. Une attente d'un choix qui vraisemblablement ne se fait pas automatiquement.
Les gens ont peur de se démarquer, peur de prendre une décision, aussi minime soit-elle.
Au final, dans la plupart des cas, j'étais celle qui "prenait les choses en main" et répartissait les tâches. Pourtant je détestais le faire, vraiment. J'étais soulagée lorsque quelqu'un d'autre s'en chargeait et m'évitait de le faire. Mais le plus souvent, si je ne me levais pas pour le faire, le silence restait là et personne ne bougeait.
Je crois que je n'ai jamais supporté ça, au final. L'immobilisme. La perte de temps.
Souvenir.
Sortie d'intégration en début de 2nde. L'idée était de faire en sorte que toute la classe passe un bon moment, et c'était assez réussi je dois dire.
Dès que le bus s'est arrêté et que nous sommes descendus, nous nous sommes immédiatement dirigés vers le terrain de foot, commençant à échanger quelques passes avec un magnifique ballon, avant qu'il ne soit confisqué par l'un des accompagnateurs. Une véritable prise d'otage au final, étant donné que nous avons tous du nous réunir dans une grande salle et aller nous asseoir sur des chaises disposés en cercle.
Leur brillante idée était de nous faire nous présenter devant toute la classe, l'un après l'autre. Inutile de dire que tout le monde a soigneusement évité son regard tout en attendant, avec un pincement au ventre, qu'il désigne le malheureux qui devrait s'y coller le premier.
" Ah mais je ne vais forcer personne, il n'y aura que des volontaires ! "
Bien entendu, cette déclaration ne fit que convaincre ma bien aimée classe de 2nde 3, et moi avec, de garder le silence, les yeux perdus dans la contemplation de la chaise du voisin ou autre objet tout aussi passionnant.
" Plus vous prendrez de temps à vous décider, plus vous en perdrez ! Personne n'ira jouer au foot tant que vous ne serez pas tous passés. "
Ce fût le déclic. Le ballon neuf brilla d'un éclat approbateur tandis que, sous les applaudissements soulagés de mes camarades, je me rendis la première à l'échafaud.
Vous me direz certainement que le rapport avec l'idée de "diriger" est difficile à trouver dans cette anecdote, pourtant il y a un mécanisme commun.
" On doit avancer mais personne ne semble vouloir faire le premier pas. "
Avec un soupir, une main se tend, se saisit du heaume et s'en coiffe, bien qu'en ayant conscience qu'il ne lui va guère.
Avec un grommellement, les rênes des chevaux claquèrent, et ces derniers reprirent la route. Le siège du cocher était occupé.
C'est là la seule et unique raison qui m'a poussée à prendre la direction des opérations dans de nombreuses situations. Jamais je n'ai demandé volontairement à coiffer un heaume ou diriger la diligence. Je l'ai fait parce que personne ne se décidait à le faire.
Mais c'est vraiment, vraiment crevant.
Pourquoi le simple fait de faire ce choix nécessaire et indispensable propulse automatiquement la personne au rang de "chef" ?
Toujours est-il que plus le temps passe et plus ce petit choix inoffensif, en cours de technologie au collège, me manque. Maintenant il faut savoir s'adapter à n'importe quel gogol fraîchement débarqué et avec qui vous êtes sensé travailler.
" Apprenez à travailler en groupe ! " qu'ils disaient. Quelle belle connerie.
Pour commencer, si on n'est pas avec des gens qui ont une véritable envie de travailler, la notion de groupe n'existe même pas.
J'ai pu, heureusement, avoir l'expérience de ce genre de groupe. A 75% du moins, étant donné qu'un élément indésirable était venu s'y greffer...
Toujours est-il que cette fois, avec ces deux collègues, et face à une masse de travail considérable, j'ai pu ressentir ce sentiment d'absence de responsabilités.
Ou plutôt, de partage, de réel division de ce poids qui pèse lourd sur les épaules.
Il n'y avait pas vraiment de chef, il n'y en avait pas besoin. Et c'était vraiment agréable. J'ai pu travailler le coeur léger.
Je pense que ça pourrait en étonner pas mal, de savoir que je peux bosser. Ça m'étonne aussi, pour être tout à fait franche.
C'est juste que j'ai ce sentiment de responsabilité, encore une fois, mais d'une autre tonalité. C'est une question de respect et de considération envers ceux avec qui on travaille.
Je n'ai jamais compris ceux qui se sentaient très fiers du fait d'avoir abandonné tout leur travail dans les bras de leur coéquipier et de n'avoir eux-mêmes absolument rien foutu. Je trouve ça déplorable et misérable.
Autant je peux bailler aux corneilles et faire des conneries plutôt que de réviser un examen au coefficient 21385746385 qui se déroule le lendemain, autant quand il faut travailler en groupe, je suis capable de m'investir comme il se doit.
Ne serait-ce que par respect, un basique respect.
Malheureusement il semble que tous ne pensent pas de cette façon. C'est regrettable !
Mais ce qui est hilarant reste le fait qu'il y a quand même des abrutis errants qui, voyant en ma personne - pourtant, et je me répète encore une fois, extrêmement fainéante - une cible idéale, pensent vraiment que je vais me taper tout le boulot et, une fois terminé, leur tendre leur part, la bouche en coeur et piaillant un bienheureux " kawaii desu ".
Ha.
Ha.
Ha.
Espérer qu'un rhinocéros nain dance la macarena sur la banquise me semble plus réaliste.
Toujours est-il qu'une fois de plus je suis partie dans tous les sens... Mouarf.
Tant que j'y suis, je vais partager avec vous le dernier scénario déliresque qui est apparu je ne sais trop comment dans mon cerveau pendant ma lecture.
Un restaurant chic. Un jeune homme et une jeune fille bien habillés. Le serveur arrive et dépose sur la table des plats raffinés dont les couverts brillent, illuminés par un lustre fabuleux qui surplombe la salle. Sorti de nulle part, un violoniste s'approche du couple et improvise un morceau magnifique qu'il joue avec une aisance déconcertante.
Lorsque la joyeuse mélodie s'arrête, et quelques instants après la fin des applaudissements des autres clients, le jeune homme, bien que visiblement très stressé, se lève de sa chaise et va devant sa belle, un genou ployé devant elle, et une main qui cherche fébrilement dans l'une des poches de sa veste.
Sa douce rougit et glousse avec bonheur. Alors, prenant son courage à deux mains, il ferme les yeux et laisse parler son coeur, sa bouche laissant échapper cette déclaration fatidique :
- Mreow.